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Chauffeurs UBER : La Cour de Cassation reconnait l’existence d’un contrat de travail

Par un arrêt du 4 mars 2020, n°19-13.316, la chambre sociale de la Cour de Cassation vient confirmer la position qu’elle avait déjà adoptée sur la question de la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail au profit des livreurs de la société TAKE IT EASY ( Cass Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n°17-20.079)

Cette décision sera très vraisemblablement diffusée de manière beaucoup importante puisqu’elle vise UBER qui est la société à l’origine du modèle économique consistant à mettre en relation, via une plateforme qu’elle gère, des clients avec des prestataires de services indépendants.

Toute la question était justement de savoir si ces chauffeurs étaient vraiment indépendants ou si au contraire les conditions permettant de reconnaître l’existence d’un contrat de travail étaient réunies.

Cette problématique n’est pas nouvelle puisqu’elle s’est déjà posée -sans que la liste sans exhaustive- pour des ouvriers du BTP ( Cass Crim 27 septembre 1989, n°88-81.182; CA Bourges 30 mai 2003, n°02/01452), des agents d’assurances (Cass Soc 17 novembre 2004, n°02-45.656), des architectes ( CA Versailles 17 octobre 1995, n°93/10614), des auxiliaires de vie (Cass Soc 21 octobre 2014, n°12-28.706), des avocats ( Cass Civ 1er 14 mai 2009, n°08-12.966; Cass Soc 11 juillet 2012, n°11-13.809), des négociateurs immobiliers (Cass Soc 4 juin 2008, n°06-46.226; Cass Soc 16 novembre 2016, n°15-26.354), des médecins (Cass Soc 5 juin 1975, n°74-40.664)), des joueurs et des professeurs de sport (Cass Soc 14 juin 1979, n°77-41.305) et même pour une hôtesse de téléphone rose (Cass Soc 15 février 2012, n°11-16.081).

De jurisprudence désormais classique, l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Soc., 17 avril 1991, pourvoi n° 88-40.121 ; Soc., 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-40.572 ; Soc., 9 mai 2001, pourvoi n° 98-46.158).

Dès lors, il appartient aux juges du fond « dans une matière d’ordre public telle que le droit du travail, d’interpréter les contrats unissant les parties afin de leur restituer leur véritable nature juridique, la seule volonté des intéressés étant impuissante à soustraire des travailleurs du statut social découlant nécessairement des conditions d’accomplissement de leur tâche. » (Cass. crim., 29 oct. 1985, no 84-95.559).

Le principal critère permettant de reconnaître l’existence d’un contrat de travail, nonobstant la qualification qui lui a été donnée par les parties est l’existence d’un lien de subordination dont la définition a été donnée par un arrêt de principe daté du 13 novembre 1996 au terme duquel “le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.” (Cass Soc 13 novembre 1996, n°94-13.187).

 Le lien de subordination suppose le pouvoir de donner des instructions, d’en contrôler l’exécution et le cas échéant de sanctionner le non respect desdites instructions.

La question posée était donc de savoir si les conditions contractuelles qui lient les chauffeurs à la plateforme UBER permettent de caractériser un lien de subordination.

La Cour de Cassation répond par l’affirmative en retenant que les chauffeurs qui contractent avec la société UBER :

1- intègrent un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, service qui n’existe que grâce à cette plateforme, à travers l’utilisation duquel ils ne constituent aucune clientèle propre, ne fixent pas librement leurs tarifs ni les conditions d’exercice de leur prestation de transport,

2- se voient imposer un itinéraire particulier dont ils n’ont pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées en cas de non respect,

3- acceptent que la destination finale de la course ne soit potentiellement pas connue et les prive de choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non,

4- et acceptent également que la société UBER ait la faculté de les déconnecter temporairement de la plateforme à partir de trois refus de courses voire de supprimer l’accès à leur compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de “comportements problématiques“.

Fort logiquement la Haute Juridiction a déduit que les conditions contractuelles de la société UBER plaçaient les chauffeurs dans une situation de subordination à l’égard de la plateforme entraînant la reconnaissance d’un contrat de travail entre eux avec toutes les conséquences qui en résultent.

Ainsi les chauffeurs concernés seront en droit de solliciter le paiement des heures de travail accomplies, différentes indemnités liées non seulement à l’exécution du contrat de travail mais également à sa rupture puisque la déconnexion du compte sera considérée comme un licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse.

La plateforme pourrait potentiellement être poursuivie pénalement pour travail dissimulé.

Il est donc plus que probable que la société UBER – comme l’ont fait nombres de ses concurrents avant elle – revoit ses conditions contractuelles.

Mais en réalité, la question posée à moyen terme est celle des adaptations qui devront être apportées à ce modèle économique qui est aujourd’hui manifestement en contradiction avec le droit positif , à moins que ce soit ce dernier qui doive être repensé afin d’intégrer ces nouveaux modes de “travail“. 

Sur ce point, il est à noter que des régimes intermédiaires entre le salariat et celui des indépendants ont été adoptés par la Grande Bretagne (Workers) et l’Italie (Collaborazione coordinata e continuativa) ont déjà adoptés.

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