La rupture du contrat de travail des salariés protégés : Conséquences indemnitaires des décisions administratives sur la procédure Prud’homale

 

Indépendants dans leurs mandats mais subordonnés dans leur travail, les salariés « protégés » qui exercent des fonctions de représentant du personnel ou syndical dans l’entreprise, ou qui concourent, à l’extérieur, à défendre les droits d’autres salariés, bénéficient d’une procédure spéciale de licenciement interdisant à l’employeur de mettre un terme à leur contrat sans au préalable solliciter régulièrement de l’inspecteur du travail l’autorisation de rompre la relation de travail.

La compétence de l’autorité administrative est exclusive et d’ordre public ; elle s’impose donc aux parties qui ne peuvent y renoncer, y compris par voie d’accord ; le salarié reste ainsi parfaitement recevable à attaquer une autorisation de licenciement, même s’il a accepté le bénéfice d’un départ négocié en signant une transaction. (CE 2 février 1996, n° 152406, Sté Etablissements Crocquet.)

De la même manière, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, le juge judiciaire est tenu par la décision administrative de l’inspecteur du travail ou, sur recours hiérarchique ou contentieux, du Ministre du travail ou du Tribunal administratif, ayant considéré que la procédure (légale et/ou conventionnelle) de licenciement avait été appliquée et que les faits énoncés dans la demande d’autorisation justifiaient la rupture.

Se pose alors la question de l’indemnisation du salarié protégé au regard de la décision prise par l’administration.

  • Le pouvoir d’indemnisation du juge judiciaire en présence d’un licenciement autorisé :

En pareille hypothèse, le Conseil de prud’hommes ne peut déclarer un tel licenciement autorisé sans cause réelle et sérieuse.

En revanche, le salarié peut contester devant la juridiction prud’homale le degré de gravité de la faute retenue dans le cadre de son licenciement disciplinaire et solliciter, le cas échéant, à ce titre, le bénéfice de ses indemnités de fin de contrat. (Cass. soc. 1er juin 1994 n° 92-40.315, Coquelle c/ Sarl Hertzog).

Par ailleurs, lorsqu’un licenciement a été notifié à la suite d’une autorisation administrative accordée à l’employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture. (Cass. soc. 29 septembre 2010 n° 09-41.127, Morin c/ Sté LV fruit ; Cass. soc. 28 mai 2013 n° 12-15.329, Sté Ener’Gym Center c/ Galant).

En revanche, en présence d’une situation de harcèlement moral, le juge judiciaire retrouve son plein pouvoir d’indemnisation.

Ainsi, après avoir dans un premier temps rappelé que l’autorisation de licenciement pour inaptitude physique accordée par l’autorité administrative ne privait pas le salarié protégé du droit de demander devant le juge judiciaire réparation du préjudice causé par les faits de harcèlement à l’origine de son inaptitude (Cass. soc. 27 novembre 2013 n° 12-20.301, Association Ogec Saint-Laurent-la-Paix-Notre-Dame c/ Wurtz), la Cour de cassation a finalement retenu que « l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations ». En d’autres termes, même autorisé par l’autorité administrative, le licenciement pour inaptitude physique d’un salarié protégé peut être annulé par le juge prud’homal lorsque cette inaptitude résulte d’un harcèlement moral. (Cass. soc. 15 avril 2015, n° 13-21306 et 13-22469)

  • Le pouvoir d’indemnisation du juge judiciaire en cas de licenciement d’un salarié protégé sans autorisation de l’administration :

Le Conseil de prud’hommes retrouve en la matière un pouvoir de sanction beaucoup plus étendu et, s’il en était besoin, dissuasif.

2-1) Tout d’abord, si l’employeur a régulièrement sollicité et obtenu l’autorisation de licencier le salarié protégé avant de notifier la rupture, mais qu’in fine cette décision a été retirée ou annulée sur recours hiérarchique ou contentieux, l’indemnisation accordée au salarié, qu’il demande ou non sa réintégration, ne sanctionnera que l’irrégularité du licenciement ainsi mis en cause, sans que les motifs invoqués à l’appui de la rupture ne soient nécessairement invalidés.

  • Conformément aux dispositions de l’article L 2422-1 du code du travail, le salarié a tout d’abord le droit, s’il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision (sous peine d’irrecevabilité), d’être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent, et dans son mandat.

La réintégration du salarié protégé, en cas d’annulation de l’autorisation de licenciement, n’est cependant pas automatique. Pour être réintégré l’intéressé doit en faire la demande dans les conditions légales. Peu importe également que la décision d’annulation ne soit pas encore définitive au moment où le salarié présente sa requête. L’employeur ne saurait alors s’y opposer, sauf disparition de l’entreprise ou impossibilité absolue de réintégrer.

Dès lors, le salarié a droit à l’indemnisation du préjudice subi au cours de la période entre le licenciement et la réintégration si celle-ci a été demandée dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision d’annulation de l’autorisation de licenciement. Doivent donc être pris en compte les revenus de remplacement perçus par le salarié pendant cette période (salaires, allocations POLE EMPLOI, pensions de retraite et même pensions d’invalidité : Cass. soc. 29 septembre 2014 n° 13-15.733, Sari c/ Sté Elior entreprises)

  • Si le salarié dont l’autorisation de licenciement est annulée ne sollicite pas sa réintégration, il peut, en plus de la réparation de son préjudice résultant du caractère irrégulier de son licenciement, prétendre éventuellement au versement de ses indemnités de rupture.

Il peut également se voir allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse si le licenciement en était dépourvu au moment de son prononcé, ce qu’il appartient au juge prud’homal de déterminer. (Cass. soc. 18 décembre 2013 n° 12-24.586, Sté Synergie c/ da Silva)

En effet, il n’y a pas d’automaticité entre l’annulation d’une autorisation de licenciement et la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf si l’autorisation a été annulée au motif que les faits n’étaient pas établis ou qu’ils ne constituaient pas une faute d’une gravité suffisante.

2-2) Par ailleurs, il est constant que le licenciement d’un salarié protégé en violation du statut protecteur (que l’autorisation de licenciement n’ait pas été demandée ou qu’elle ait été sollicitée sans être obtenue au moment de la notification de la rupture), est nul.

Peu importe qu’in fine, il soit reconnu que cette autorisation n’était pas requise, ou qu’elle soit adressée a posteriori à l’employeur ; encore récemment, la Cour de cassation a rappelé que l’annulation par le tribunal d’instance de la désignation d’un délégué syndical, quel qu’en soit le motif, n’a pas d’effet rétroactif sur le statut protecteur. (Cass. soc. 16 décembre 2014 n° 13-15.081, Sté Sud service c/ Ouenniche). Est donc prononcé en violation de ce statut le licenciement d’un salarié sans autorisation administrative à une date antérieure à l’annulation de sa désignation.

  • Comme précédemment, le salarié a la faculté de demander sa réintégration dans l’entreprise et le cas échéant, dans son mandat, sous réserve, simplement, de présenter sa demande pendant la période de protection.

Dans ce cas, il a droit au versement d’une indemnité forfaitaire égale au montant total de la rémunération brute qu’il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration ; l’employeur ne peut ainsi déduire les salaires éventuellement perçus par le salarié durant cette période, les indemnités journalières servies par la sécurité sociale, les pensions de retraite versées et les allocations chômage dont l’intéressé a bénéficié. Cette indemnité est alors soumise aux cotisations sociales et d’assurance chômage. (Cass. 2e civ 12 février 2015 n° 14-10.886, Urssaf des Pays de la Loire c/ Sté Claas réseau agricole)

Toutefois, dans ses rapports avec l’organisme d’assurance chômage, le salarié protégé dont le licenciement est annulé pour avoir été prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d’autorisation n’est pas fondé à cumuler les allocations de chômage avec ses rémunérations ou une indemnité équivalente à celles-ci. Ainsi, lorsque le salarié a obtenu la condamnation de son employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de salaire pour la période comprise entre son licenciement nul et sa réintégration, le paiement des allocations de chômage versées par POLE EMPLOI au titre de cette période est indu et celles-ci doivent donc être remboursées par le salarié (Cass. soc. 19 novembre 2014 n° 13-23.643, Besnainou c/ Pôle emploi Picardie)

  • Si le salarié ne demande pas sa réintégration, ce dernier a non seulement le droit d’obtenir au titre de la méconnaissance du statut protecteur, le montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et l’expiration de la période de protection (sans déduction des revenus de remplacement), mais également ses indemnités de rupture ainsi qu’une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au minimum égale à celle prévue par l’article L 1235-3 du Code du travail (fixée six mois de salaire).

La liberté dont disposent les tribunaux judiciaires concernant l’indemnisation accordée aux salariés protégés dont le licenciement est nul est donc relative, d’autant que la Cour de cassation s’oriente de plus en plus vers une uniformisation des durées de protection prises en compte pour la détermination de l’indemnité forfaitaire qui leur est accordée au titre de la violation du statut protecteur. Il sera ainsi rappelé que la Cour de cassation applique un plafond de 30 mois de salaires pour les salariés administrateurs de mutuelle (Cass. soc. 1er juin 2010 n° 09-41.507), pour les médecins du travail (avis Cass. 15 décembre 2014 n° 15013) et désormais pour les délégués du personnel (Cass. soc. 15 avril 2015 n° 13-24.182 et 13-27.211 ; solution qui vraisemblablement ne manquera pas d’être appliquée également aux membres du Comité d’entreprise)

Actualité :

Le montant de l’indemnité de non-concurrence ne peut varier en fonction du mode de rupture du contrat de travail :

Par une décision du 9 avril 2015, la Cour de cassation réitère sa jurisprudence interdisant de faire varier le montant de la contrepartie en fonction du mode de rupture du contrat.

Dans cet arrêt, la contrepartie financière était fixée à 25 % en cas de licenciement et à 10 % en cas de démission et le contrat avait pris fin au moyen d’une rupture conventionnelle.

La cour d’appel avait appliqué la minoration de l’indemnité de non-concurrence prévue en cas de démission, considérant que la rupture conventionnelle intervenait à l’initiative du salarié.

La Cour de cassation censure cet arrêt au motif suivant : « Attendu que pour fixer la contrepartie financière de la clause de non-concurrence au montant prévu en cas de démission, l’arrêt énonce que le salarié qui démissionne et celui qui signe une rupture conventionnelle manifestent l’un et l’autre une même intention de quitter l’entreprise; Qu’en statuant ainsi, alors que doit être réputée non écrite la minoration par les parties, dans le cas d’un mode déterminé de rupture du contrat de travail, de la contrepartie pécuniaire d’une clause de non-concurrence, la cour d’appel, qui a refusé de faire application de la contrepartie de 25 %, laquelle n’est pas susceptible de réduction par le juge et ouvre droit à congés payés, a violé le principe et le texte susvisé. »

Ce n’est pas la première fois que la Haute Juridiction se prononce sur cette question. Elle avait déjà jugé de la même manière dans des hypothèses où le montant de l’indemnité de non-concurrence avait été minoré en cas de licenciement pour faute (Cass. soc. 8-4-2010 n° 08-43.056) ou de démission (Cass. soc. 25-1-2012 n° 10-11.590). Mais cette fois, elle étend cette solution à l’ensemble des modes de rupture du contrat de travail, sans les distinguer, qu’elle soit à l’initiative de l’employeur ou du salarié.

Cette solution reste cependant logique : dès lors que l’obligation de non-concurrence est similaire, la contrepartie de l’entrave au libre exercice d’une activité professionnelle doit être la même, que le salarié ait été licencié, qu’il ait démissionné ou qu’il ait signé une rupture conventionnelle. Le montant d’indemnisation le plus favorable au salarié sera alors retenu.

    

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